Retour aux articles

Dette douanière pour réimportation dans le cadre d’un ALE : sauvé par le régime des marchandises en retour

Affaires - Transport
30/03/2022
Dans le cadre de l’accord d’association UE-Serbie, une dette douanière naît de la réimportation en France de marchandises préalablement exportées de l’Union vers ce pays, mais un importateur peut bénéficier pour ces droits de douane d’une exonération via l’application rétroactive du régime des marchandises en retour dont il remplit les conditions, selon un arrêt de la cour d’appel de Dijon du 22 mars 2022.
Un opérateur a importé en France des véhicules de Serbie qui avaient été initialement exportés de l’Union européenne vers ce partenaire dans lequel ils n’avaient pas subi de transformation, ni été utilisés. Pour la Douane française, des droits sont dus à l’importation, ce que ledit opérateur et son commissionnaire notamment contestent aux motifs :
  • d’une part que l’interprétation de l’accord par cette administration est erronée s’agissant de l’assujettissement aux droits ;
  • et d’autre part que le bénéfice du régime des marchandises en retour, permettant de ne pas acquitter les droits de douane, est possible.
 
Si ces opérateurs perdent sur le premier des arguments ci-dessus, ils ont toutefois gain de cause sur le second.
 
Accord UE-Serbie : question d’interprétation
 
Pour la Douane, le redressement est fondé puisque ledit accord ne prévoit l'exemption de droits de douane à l'importation de Serbie que pour les produits industriels originaires de ce pays, définition à laquelle ne répondent pas les véhicules neufs litigieux, qui, après avoir été préalablement importés en Serbie à partir de pays de l'UE, ont été réexportés de Serbie vers la France, sans avoir subi aucune modification.
 
Pour les opérateurs, cette position de l’administration, qui ne repose sur aucune disposition expresse refusant la préférence tarifaire à l'exportation hors Serbie de produits préalablement importés de l'UE vers celle-ci, mais uniquement sur une interprétation a contrario de l'article 5 (§ 1) de l’accord, aboutit à une « solution absurde » à l’opposé de son objet même, c’est-à-dire la création d'une zone de libre-échange dans laquelle les droits de douane ne sont pas dus.
 
En revanche, pour la cour d’appel qui se fonde sur l’analyse complète des dispositions applicables et rappelées en détail par le tribunal (voir les Remarques ci-dessous), l’accord UE-Serbie ne prévoyait pas de préférence tarifaire dans le cas litigieux de réexportation à partir de la Serbie vers l'UE de produits préalablement importés de celle-ci, et la préférence tarifaire ne concernait pas cette hypothèse, mais exclusivement celle de l'exportation vers l'UE de produits industriels originaires de Serbie, la notion d'origine (définie par le protocole origine) ne trouvant pas à s'appliquer aux véhicules litigieux, qui n'avaient été ni obtenus entièrement en Serbie, ni obtenus dans ce pays partenaire à partir de matières non entièrement obtenues y ayant fait l'objet d'ouvraisons ou de transformations suffisantes.
 
Remarques
Selon la cour d’appel, le tribunal a justifié la perception des droits de douane en retenant notamment par une interprétation littérale :
- d’une part, de l'article 5 (§ 1) de l'accord UE-Serbie du 29 avril 2008, devenu l’article 20 (§ 1) de l'accord d'association et de stabilisation UE-Serbie publié le 18 octobre 2013, que « les droits de douane à l'importation dans la Communauté de produits industriels originaires de Serbie et les taxes d'effet équivalent sont supprimés dès la date d'entrée en vigueur du présent protocole » ;
- et d’autre part que, selon son protocole « origine », sont considérés comme produits originaires de Serbie :
a) les produits entièrement obtenus en Serbie au sens de l'article 5 ;
b) les produits obtenus en Serbie et contenant des matières qui n'y ont pas été entièrement obtenues à condition que ces matières aient fait l'objet en Serbie d'ouvraisons ou de transformations suffisantes au sens de l'article 6.
Par conséquent, pour le tribunal, à la lecture de ces articles (et d’autres), seuls les produits originaires de Serbie importés dans la Communauté pouvaient bénéficier d'un régime préférentiel et de l'exonération de droits de douane, ce qui n’était pas le cas des marchandises de l’espèce qui n’avaient fait l’objet d’aucune modification/transformation en Serbie et ne rentraient pas dans cette catégorie.
 
Application rétroactive du « régime des retours »
 
Pour échapper à la dette douanière, l’importateur prétendait obtenir l’exonération des droits via le régime des marchandises en retour qui permet effectivement, sous certaines conditions, de réimporter en franchise dans l’UE une marchandise qui en a été préalablement exportée et n’a pas connu de modification. Cet opérateur demandait en effet le bénéfice rétroactif de ce régime, ce qui était alors permis par l’ex-article 212 bis du Code des douanes communautaire, lorsque le comportement de l'intéressé n'implique ni manœuvre frauduleuse, ni négligence manifeste et qu’il apporte la preuve que les autres conditions d'application de ce régime sont remplies.
 
Conditions tenant à l’opérateur : absence de manœuvre frauduleuse et de négligence manifeste
 
La Douane estime que l’opérateur ne peut bénéficier avec rétroactivité du régime des retours parce qu’il a été négligent : pour l’administration, « la simple consultation des référentiels RITA et TARIC, accessibles à tous les opérateurs, lui aurait permis de se convaincre de l'absence d'exonération de droits de douane sur le fondement de l'accord UE-Serbie ».
 
En revanche, pour la cour d’appel, l’opérateur n'avait fait preuve ni de manœuvres frauduleuses, ni de négligence manifeste, « s'agissant d'une procédure d'importation qui ne pouvait être qualifiée de simple pour un opérateur non spécialisé », ce qu'était « manifestement » l’opérateur qui avait eu recours à un commissionnaire en douane, « ce qui témoigne au contraire de son souci d'assurer la régularité de l'opération ».
 
Conditions tenant à la marchandise : preuve de l’origine et autres
 
Pour écarter le bénéfice du régime des marchandises en retour, la Douane avance que l’opérateur ne rapporte pas de preuve suffisante de l'origine des produits et se fonde notamment, s'agissant en l'espèce de véhicules automobiles, sur le « règlement particulier régime économique et destination particulière » qui exigeait la production d'un certain nombre de documents que l’importateur ne fournissait pas à l'appui de son argumentation.
 
Pour l’importateur et son commissionnaire, l'origine des produits était parfaitement établie par les documents soumis à la Douane.
 
C’est ce que retient également le juge en citant le 1° de l’ex-article 848 du règlement d'application du code des douanes communautaire (CDC, RA) qui, s’il liste les documents nécessaires pour bénéficier du régime des retours, ajoute néanmoins que « Lorsque les autorités douanières du bureau de douane de réimportation sont en mesure d'établir, par les moyens de preuve dont elles disposent ou qu'elles peuvent exiger de l'intéressé, que les marchandises déclarées pour la libre pratique sont des marchandises primitivement exportées hors du territoire douanier de la Communauté et qu'elles remplissaient au moment de leur exportation les conditions nécessaires pour être admises comme marchandises en retour, les documents visés aux points a) et b) ne sont pas requis ». Or, dans cette affaire, les documents dont disposait la Douane, « et tout particulièrement les certificats EUR. 1 établis par les autorités serbes, dont la régularité n'a jamais été remise en cause, et qui attestent l’origine [ndlr : et non la provenance comme indiquée à tort selon nous] communautaire des véhicules, mais aussi les numéros de série de ceux-ci, qui identifient notamment leur pays de production, permettaient d'établir suffisamment que ces marchandises remplissaient, au moment de leur exportation, les conditions nécessaires pour être admises comme marchandise en retour, étant observé que la circonstance que ces véhicules étaient neufs et n'avaient fait l'objet en Serbie d'aucune intervention ou modification, n'a jamais été contestée ».
 
Le juge relève même que la Douane « manque à cet égard singulièrement de cohérence » en soutenant que la provenance (en réalité selon nous l’origine) communautaire des véhicules serait insuffisamment établie, alors qu’elle se fonde sur celle-ci (combinée à l'absence de toute ouvraison ou modification en Serbie) pour écarter le bénéfice de la préférence tarifaire de l'accord UE-Serbie et réclamer les droits. De plus, pour le juge, l’administration ne pouvait s’opposer au bénéfice du régime des retours en exigeant, par référence à son « règlement particulier » précité, « des preuves supplémentaires présentant un caractère purement superfétatoire au regard des pièces déjà en sa possession ».
 
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy Guide des procédures douanières, n° 630-14 et n° 630-20, et dans Le Lamy transport, tome 2, n° 1466. La décision ici exposée est intégrée à ces numéros dans la version en ligne des ouvrages sur Lamyline dans les 48 heures à compter de la publication de la présente actualité.