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Brexit : bilan 2021 et perspectives 2022 pour les opérateurs et la Douane

Affaires - Transport
01/02/2022
Le 27 janvier 2022, le ministère de l’Économie organisait une conférence sous forme de bilan des douze premiers mois du Brexit tout en insistant aussi sur les sujets sensibles en découlant pour l’année à venir.
L’esprit de la conférence organisée le 27 janvier 2022 par Bercy est de dresser un premier bilan à la fois critique, c’est-à-dire confronté au regard des opérateurs, et dynamique quant à l’avenir pour eux et la Douane, selon Olivier Dussopt, le ministre délégué chargé des Comptes publics. Dès le début, ce dernier souligne les points positifs : les nouvelles formes de gestion des formalités douanières (la frontière intelligente), le très grand travail de préparation des entreprises pour intégrer le dédouanement dans leurs schémas logistiques, le partenariat douane-entreprises-fédérations professionnelles dans leurs actions d’information et de conseil. Même retour enthousiaste pour Gerassimos Thomas, directeur général de la fiscalité et de l’union douanière à la Commission européenne, qui estime que la mise en œuvre du Brexit n’a pas posé de difficulté majeure et que la préparation en amont a porté ses fruits.
 
2021 : les échanges post Brexit en chiffres
 
Les flux ont repris dès le premier trimestre mais sont en recul sur les 10 premiers mois de 2021, annonce Olivier Dussopt : les exportations de l’UE vers RU ont baissé de 15 % ; celles du RU vers l’UE ont chuté de 29 %. En revanche, et sans surprise, c’est l’explosion des formalités douanières : le nombre des déclarations de transit générées connait une augmentation de 62 % ; les flux de dédouanement à l’importation ont monté de 29 % ; le nombre de déclarations à l’exportation a dépassé le million.
Murielle Lacoue-Labarthe, Directrice générale adjointe du Trésor, précise ces chiffres en notant qu’il faut aussi tenir compte pour les apprécier de facteurs extérieurs de dégradation des échanges sur 2021, comme bien évidemment la crise liée à la pandémie de Covid. Ainsi, au 1er trimestre 2021, donc dès l’entrée en vigueur de l’accord UE-RU, les exportations de l’UE vers RU ont chuté d’à peu près 20 % par rapport au dernier trimestre 2020 et sont à mettre en perspective avec la chute de 4 % des exportations de l’UE vers le reste du monde. Les importations depuis le RU vers l’UE ont connu une diminution de 36 %, alors que les importations depuis le reste du monde ont augmenté de 2% dans l’UE. Si cette chute a été rapide, « une dynamique de rattrapage » a été entamée au cours de l’année 2021, mais en octobre 2021, les échanges avec le RU ne connaissaient pas un retour à la normale, contrairement aux échanges de l’UE avec le reste du monde.
 
Les défis du Brexit : préparation, moyens, accompagnement, etc.
 
Anticipation
 
Frédéric Jacquot, directeur Douane d’Airbus, rappelle la nécessité d’anticiper qui a conduit l’action du constructeur aéronautique européen dès les résultats du référendum sur le Brexit. Il fallait en effet en amont intégrer toute la chaine de fournisseurs (notamment des PME) pour s’assurer qu’ils percevaient les enjeux. En effet, si Airbus utilisait peu de régime de préférences liées à l’origine, mais plutôt les régimes particuliers (ex-économiques), il allait falloir désormais porter leur attention aussi sur l’origine préférentielle (OP). Et les fournisseurs allaient devoir comprendre cette notion d’OP, et notamment les règles de l’accord relatives à la transformation. Dans l’hypothèse de recours au commissionnaire en douane, il fallait aussi s’assurer de la disposition anticipée des données de qualité pour les déclarations en douane. Il a fallu également revoir les contrats pour s’assurer de la maîtrise de la logistique et des formalités douanières, ce qui a pu impliquer la révision des Incoterms (favoriser le FCA à l’achat et DAP dans les ventes pour Airbus). Sur ce point, Jean-Michel Thillier, directeur interrégional des douanes des Hauts de France, confirme l’aspect « central » des Incoterms pour savoir qui fait quoi s’agissant des formalités en douane.
 
Conseils et accompagnement
 
Frédéric Jacquot souligne aussi l’action du Service Grands Comptes (SGC) de la DGDDI dont dépend Airbus (pour la mise à niveau des autorisations douanières). Mais l’action de conseil de cette administration vaut aussi pour les PME, notamment celles qui, ne faisant que de l’intracommunautaire avant le 1er janvier 2021, n’étaient pas rompues aux formalités import-export à cette échéance. La Directrice générale des douanes, Isabelle Braun Lemaire, rappelle ainsi la « mine d’information » que constitue le site de la Douane et n’oublie pas le rôle joué par ses Pôles d’action économique (PAE). Là aussi, Jean-Michel Thillier qui est également directeur du projet Brexit rappelle les centaines de réunions entre les opérateurs et la Douane en amont de 2021 et pendant 2021 qui ont permis de répondre à des questions et d’aplanir des difficultés. Olivier Thouard, représentant du comité douane du Medef, confirme l’accompagnement de « proximité » des opérateurs par la Douane française et le partenariat entre cette administration et les entreprises, nombre de conférence ayant par exemple permis de s’informer et de disposer de retour d’information utile.
 
Le site de la Commission européenne est également riche d’enseignements et de question-réponse.
 
Sujets à venir ou persistants : perspectives pour 2022
 
« Le Brexit n’est pas dernière nous, mais il conserve sa pleine actualité » indique Olivier Dussopt. Mais, rassure le ministre, l’amélioration du service aux entreprises (notamment via l’amélioration de la frontière intelligente) et la mobilisation de l’administration demeurent. Jean-Michel Thillier confirme que le chemin parcouru jusqu’ici l’a été « avec un certain succès », mais que, sur la route pour 2022, il reste « encore beaucoup à faire » tant pour l’administration que pour les entreprises dans cette relation avec le RU qui demeure un des principaux partenaires économiques de l’UE. De plus, ajoute-t-il, si 2021 était surtout l’année qui devait permettre de garantir la « conformance » réglementaire, c’est-à-dire une année de réglage pour s’assurer que tout le monde remplisse ses obligations, en 2022 les contrôles vont reprendre de l’importance à l’importation (la protection des frontières et du marché intérieur demeurant bien sûr) : c’est d’ailleurs la feuille de route de la Douane pour 2022, même si cela a déjà été bien entamé en 2021. Le Directeur général des douanes belge a la même philosophie : le Brexit n’ayant pas donné lieu à constat de beaucoup d’infractions, mais la contrebande augmentant sensiblement vers le RU, la priorité sera donnée à la lutte contre la fraude en Belgique.
Plus dans le détail des enjeux techniques pour 2022, Jean-Michel Thillier mentionne l’apurement à l’export : la situation s’est améliorée, mais il reste « du chemin à faire » et les opérateurs doivent notamment veiller à donner les bonnes instructions à ceux qui gèrent les exportations. S’ajoutent enfin bien sûr le rétablissement des formalités à l’importation côté RU depuis le 1er janvier 2022, tout comme les formalités à venir pour les marchandises soumises aux contrôles sanitaires et phytosanitaires (SPS).
 
L’accord de commerce UE-RU : bénéfices réels et potentiels
 
Quelle utilisation par les opérateurs ?
 
Le taux d’utilisation des préférences tarifaires de l’accord UE-RU pour la France est précisément donné par Murielle Lacoue-Labarthe : il a très vite atteint 68 % et stagne actuellement à 76 %. Cela s’expliquerait par le fait que nombre d’entreprises ne pratiquaient pas l’export avec le RU et doivent encore s’approprier les règles d’origine pour bénéficier de ces préférences : autrement dit, des importateurs acquittent encore des droits de douane à l’importation alors qu’ils pourraient bénéficier d’un taux zéro.
Au niveau de l’UE, avec un taux d’utilisation de 82 %, le bénéfice de l’accord à l’importation par les opérateurs de l’Union est confirmé par Fernando Perreau de Pinninck, chef d’unité des affaires internationales et générales de la DG TAXUD de la Commission européenne.
 
Quelles facilités dans les échanges ?
 
Fernando Perreau de Pinninck, qui était aussi co-leader pour la négociation des aspects douaniers et origine de l’accord, rappelle s’agissant des règles d’origine que la preuve est assouplie avec la déclaration par l’exportateur. Il souligne, s’agissant des facilités, qu’elles tiennent surtout à la reconnaissance mutuelle des statuts OEA. Il existe également un potentiel en matière de coopération, mais « hélas », ajoute-t-il, le RU résiste à tout ce qui ressemble à une forme d’alignement, ce qui explique par exemple qu’il ne soit pas possible de supprimer les exigences de déclaration sommaire de sécurité à l’importation.
 
Toutefois, des évolutions seraient possibles en matière de simplifications : l’article 103 de l’accord liste une série de mesures possibles et il serait envisageable d’aller « vraiment loin dans la simplification », selon Fernando Perreau de Pinninck (un comité pourrait adopter des mesures concrètes) : « sky is the limit », selon sa formule volontairement exagérée. Mais avant de passer à ce stade, il faudra s’assurer de la cohérence d’une politique générale vis-à-vis de tous les partenaires, et pas seulement établir une politique particulière avec le RU : en effet, toute mesure de simplification avec un partenaire implique un degré d’alignement des règles européennes à l’égard des autres. De plus, avant de passer au stade des facilitations, il faut avoir une cadre stable. Or, pour l’instant du côté de la Grande-Bretagne, il est évolutif avec des incertitudes. Il faut de plus pouvoir s’appuyer sur une expérience solide de la relation, mais ce n’est pas encore le cas non plus puisqu’elle est seulement occasionnelle, partielle. Bref, il n’est pas possible d’envisager pour le moment quelles seraient les mesures de simplification. En revanche, la fin de l’année 2022 pourrait en substance être plus propice à l’examen de telles mesures.
 
Plus d’information sur ces sujets dans Le Lamy Guide des procédures douanières, voir n° 105-76 et s. et voir n° 340-64. L’événement ici présenté est intégré notamment aux numéros précités concernés dans la version en ligne de cet ouvrage sur Lamyline dans les 48 heures à compter de la publication de la présente actualité.